Coralie Escrich - Doula Accompagnement autour de la naissance et de la féminité

Le grand secret - René Barjavel

Le 22/04/2019 0

Dans Extraits littéraires

"Dans la lumière bleue de la nuit, Annoa, étendue sur l'herbe du jardin, gémissait et criait. Les pâquerettes avaient fermé leurs yeux blancs, et l'herbe était sombre, et Annoa était une boule sombre qui remuait et gémissait et parfois poussait un cri déchiré. Et Han, debout auprès d'elle, son visage et ses cheveux d'or, éclairés par le projecteur de la caméra d'alerte, appelait au secours, appelait tout le monde à l'aide, appelait il ne savait quoi: Annoa criait, Annoa souffrait, c'était peut être cela, mourrir... (...) 

De tous les points du jardin et de l'Ile, les garçons et les filles accouraient vers le cri, et les adultes suivaient. Jeanne arriva la première et cria à son tour, pour réclamer la lumière du jour. (...) Jeanne s'agenouilla près d'Annoa, essuya son visage couvert  de sueur avec de l'herbe fraîche, lui prit la main, et lui dit d'une voix rassurante:

- Calme-toi, mon petit, calme-toi... Allonge-toi... Détends-toi... Là... Bien... Respire comme tu as appris...

Annoa cessa de gémir et regarda Jeanne avec une énorme interrogation dans les yeux.

- Oui, dit Jeanne souriante, oui... C'est ton enfant qui vient...

- Oooh!... firent les enfants.

Et les adultes qui étaient venus jusque là s'en allèrent, discrets. Le docteur Lins lui-même, sur un signe de Jeanne, se retira.

- C'est notre enfant qui vient! dit Han. 

Il y avait pensé tous les jours, et maintenant que le moment était là, cela lui paraissait si extraordinaire  qu'il ne pouvait le croire. Il s'agenouilla de l'autre côté d'Annoa et lui prit l'autre main.

- Annoa! Annoa! C'est notre enfant qui vient!

Sa voix n'affirmait pas, elle demandait si c'était vrai, si c'était vraiment vrai. Et Annoa lui sourit avec amour et lui fit oui de la tête. Elle, maintenant, elle savait, et elle était prête. Et la phrase se mit à courir et à bondir parmi les filles et les garçons.

- C'est notre enfant qui vient! ... C'est notre enfant qui vient!...

Ils se donnèrent des bourrades et des coups de poings de joie, puis ils se calmèrent, et comme Han et comme Jeanne ils s'agenouillèrent. Une nouvelle contraction crispa le visage d'Annoa. Jeanne dit très vite:

- Respire!... Respire!

Annoa commença à haleter comme Jeanne lui avait appris et tous les enfants se mirent à haleter avec elle. Et peu à peu la contraction cessa d'être une souffrance pour n'être plus qu'un mouvement irrésistible de la chair qui poussait vers la lumière une chair nouvelle.

Et quand cela recommença, Annoa se mit aussitôt à haleter et n'eut plus mal. Tous les garçons et les filles s'étaient couchés et haletaient avec elle. C'était leur enfant qui arrivait.

Cela dura la moitié de la nuit. Les oiseaux, croyant que le jour était levé, chantaient. Les enfants s'endormaient et se réveillaient quand il fallait pour respirer en même temps qu'Annoa, et Den les accompagnait avec sa guitare-cigogne. A trois heures du matin, Jeanne dit:

- Cette fois ça y est, mon poussin, il est là...

Dans la porte qui s'ouvrait entre les cuisses brunes apparut une tache d'or, le sommet de la tête de celui qui arrivait.

- Il est blond comme son père, dit Jeanne. Pousse mon petit, pousse un bon coup!...

Annoa gémissait de bonheur et d'effort. Une joie énorme coulait vers le bas de son corps et l'ouvrait pour en sortir et devenir plus grande encore. Elle serra la main de Han, y enfonça ses ongles en gémissant.

- Oh! Han... Que c'est beau!... que c'est beau!...

Les garçons et les filles s'étaient groupés devant Annoa pour voir arriver leur enfant. La tête blonde sortit. Un grand garçon s'évanouit et glissa dans l'herbe. Han tremblait. Le coq bleu à la crête flamboyante vola sur l'épaule de Den et d'un grand cri appela le soleil. L'enfant glissa hors d'Annoa. Jeanne le reçut dans ses mains ouvertes et le souleva pour que sa mère fût la première à voir son visage et son sexe. Annoa dit d'une voix épuisée:

- C'est une fille!...

Des larmes de bonheur coulaient de ses yeux. Jeanne souleva la fille par les pieds et lui tapa sur le derrière pour lui faire ouvrir les poumons. Elle poussa un cri de petit chat. Jeanne posa l'enfant sur le ventre qui l'avait fait."

Extrait de "Le grand secret" de René Barjavel

Le grand secret, c'est l'histoire d'un couple séparé par un extraordinaire événement, puis réunis dans des circonstances telles que jamais un homme et une femme n'en ont connu de pareilles. C'est aussi l'histoire d'un mystère qui, depuis 1955, a réuni, à l'insu de tous, dans une angoisse commune, par dessus les oppositions des idéologies et des impérialismes, les chefs des plus grandes nations. C'est ce "grand secret" qui a mis fin à la Guerre Froide, qui a été la cause de l'assassinat de Kennedy, qui rend compréhensible le comportement de De Gaulle en mai 1968, qui a rendu indispensables les voyages de Nixon à Moscou et à Pékin. Il n'a rien à voir avec la guerre ou la bombe H. C'est le secret de la plus grande peur et du plus grand espoir du monde. Il ne faut pas oublier que c'est un roman. Mais si c'était vrai?... 

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